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Les aventures de Llynn

2 avril 2011

Chapitre 2 / Dernière partie

 

C’est une taverne merveilleuse, qui est à la fois le cœur et le poumon de la cité. Tous les grands événements y commencent ou y finissent, voire y commencent et y finissent.

 

Il y a un immense comptoir. Son bois est patiné par les âges, les coudes, les bières et les marks ou les dimes. Le père Latuynn est derrière. Les bras croisés, la moustache grisonnante, le cheveu rare, l’œil vif. Pour le reste je ne sais pas, mais l’œil vif, c’est pour suivre les consommateurs, leurs consommations et, surtout, leurs paiements. Gare aux resquilleurs. Ça fait partie des circonstances qui leur font bénéficier d’un ticket pour quitter la cité par la Porte du Couchant.

 

La salle est meublée avec de grandes tables en bois garnies de tabourets ou de bancs. Les enfants Latuynn assurent le service en salle, débarrassent les tables, nettoient ce qui doit l’être et finissent par vider l’établissement.

 

Ils sont nombreux, les enfants de Latuynn. Neuf filles et onze garçons. A peu près aussi nombreux que les Madame Latuynn. De mémoire, il y a eu dix-huit Madame Latuynn. Je n’en suis pas sûr. Je crois que personne aujourd’hui ne tient plus les comptes. Toutes n’ont pas donné une descendance au père Latuynn. Pour ces malheureuses, ça s’est généralement terminé par un départ précipité de Qarwann via la Porte du Couchant. Pour les autres, souvent assez malheureuses elles aussi, elles ont vieilli prématurément ou fui avec le premier navire partant… En tout cas, actuellement, la place est libre. La petite dernière ayant maintenant trois ou quatre ans, il serait nécessaire de penser à la relève…

 

L’atmosphère est surchargée d’une fumée dense qui vient de la cheminée et des bougies. Il se produit un phénomène classique. Plus on avance dans la soirée, moins on voit. Grâce au mélange produit par la fumée et l’alcool. Généralement, quand le père Latuynn ne voit plus le bout de son comptoir et qu’il n’est donc plus à même de contrôler les règlements à cause de la fumée (il ne boit pas, ce qui est normal pour un tavernier), il ferme son établissement. Tous dehors sans autre préavis !

 

A l’étage, il y a quelques chambres pour les étrangers, marchands, ambassadeurs, navigateurs, aventuriers qui arrivent jusqu’à Qarwann. Souvent, leur séjour se déroule en quatre temps. D’abord, épuisés par leur voyage, ils tentent de négocier, sans succès, le prix de leur chambre. Il faut dire que le père Latuynn est assez intraitable en affaires. Ensuite, exténués, les voyageurs n’arrivent pas à se reposer à cause du boucan qui vient de la salle. Alors, même harassés, ils ne parviennent pas à s’endormir car leur lit abrite aussi des punaises, puces et autres bestioles de ce genre. Enfin, définitivement crevés, ils quittent la cité en passant par la Porte du Couchant, parce qu’ils ont eu l’outrecuidance de se plaindre de notre accueil pourtant si chaleureux. C’est vrai, l’arrivée d’étrangers est toujours l’occasion d’une fête chez Latuynn. Ils sont vraiment ingrats…

 

Régulièrement, des bagarres y éclatent. Oxynn et Franynn savent quand il faut y passer. Pas trop tôt pour que les protagonistes se fatiguent (surtout quand la querelle oppose bûcherons et carriers). Pas trop tard pour que la taverne reste néanmoins dans un état qui lui permette de rouvrir le lendemain. Ils arrivent toujours à temps pour embarquer les moins fringants des combattants encore debout. Ceux qui sont encore en forme (de mémoire, Omynn et Norynn appartiennent toujours à cette catégorie-là) et ceux qui sont hors service pour un certain temps finissent tranquillement et respectivement leur bière et leur coma. Les autres sont jetés dans la geôle, paient l’amende prévue par le règlement et participent à des travaux d’intérêts généraux, visant souvent à nettoyer la taverne.

 

Sauf pour les étrangers qui, après avoir payé l’amende, ont droit à un départ spécial par la Porte du Couchant.

 

Je ne sais pas dans quelle catégorie il vaut mieux finir à partir du moment où on est sûr de ne pas être dans la première.

 

Une première fois, je me suis retrouvé présent lors d’une bagarre. Je n’ai pas réussi à m’esquiver au bon moment. Il est vrai qu’Owenn me poursuivait et j’étais resté chez Latuynn le plus longtemps possible. Si j'ai réussi, je me demande encore comment, à limiter les dégâts physiques en n'ayant qu'un œil poché, je me suis fait embarquer par le guet. La nuit dans la geôle a été désagréable. Coincé entre les paysans qui ont abusé de la bière, les étrangers qui se plaignaient sans cesse parce qu'ils ne savaient pas pourquoi ils étaient là et les filous qui en voulaient à ma bourse, je n'ai pas fermé l'œil sain qui me restait de la nuit. Après, j’ai passé une très longue journée à balayer la taverne.

 

Ne parlons pas de la seconde fois…

 

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15 mars 2011

Chapitre 2 / 3ème partie

 

Et nous avançons contre le Qzurr. Telle une horde, peu fournie, du contre vent.

 

Le Qzurr souffle très fortement. A défaut des robes, il soulève la poussière pour créer un nuage dans lequel on ne voit rien à trois pas. Il arrache les arbustes les plus rabougris. Les cailloux ne volent pas encore, mais il ne faudrait pas provoquer le vent. Nous nous en prenons plein la figure. Ça nous gifle. Ça nous griffe. Nous sommes obligés d’avancer le visage enturbanné, les yeux plissés.

 

Avancer les yeux fermés est impossible et les maintenir ouverts, même mi-clos, est difficile. Il faudrait qu’on puisse les abriter derrière une protection transparente. Je pense aux vitres de nos maisons. On pourrait faire des vitres de la taille des yeux et avoir un système pour les maintenir. On les fixerait sur une grande tige qu’on tiendrait à la main, sur un chapeau ou autour de la tête. Je préfère l’idée d’un système de fixation autour de la tête. C’est mieux de conserver ses deux mains libres. Il y aurait certainement quelque chose à faire. Un bouclier oculaire, une vitre portative ou un protège yeux. Il faudrait que j’en parle à un de nos maîtres verriers. Je suis sûr qu’on pourrait faire commerce de ce type de produits et gagner plein de marks or.

 

Si je reviens…

 

On s’en prend aussi plein les oreilles. Et pas uniquement de la poussière. Le Qzurr rugit tellement fort que nous ne nous entendons même plus respirer, marcher, râler… J’en viens presqu’à regretter le silence de notre randonnée.

 

Pour couronner le tout, le Qzurr venant face à nous, donc du nord, est glacial. La journée, Qsorr n’arrive pas à percer le nuage de poussière et à nous réchauffer. Nous nous gelons.

 

Comme je ne peux pas fabriquer une vitre portative maintenant, je pense que le mage pourrait, peut-être, nous faire un pare-vent magique. Je me tourne vers lui.

 

Mage Ghynn, vous pouvez faire quelque chose ?

Comme quoi, messire Llynn ?

Comme un sort, triple euh... Pardon mage, je ne vous demande pas de faire la vaisselle. Je vous demande de lancer un sort qui nous permettrait d’avancer en étant protégés du vent. Je ne sais pas mais vous devriez pouvoir nous invoquer un bouclier magique ou un autre truc de ce genre… C’est vous le spécialiste, il me semble. C’est pour cela que vous êtes avec nous et que je vous paie.

J’aurais préféré faire la vaisselle, messire Llynn.

Oui, mais là, voyez-vous mage, on n’en a pas trop besoin. En plus, je ne sais même pas quand est-ce que nous allons pouvoir manger. Mais, rassurez-vous mage, je saurai m’en rappeler quand même pour l’occasion.

Ah…

Non, pour le moment, nous aurions plutôt besoin de quelque chose pour nous protéger du vent. Serait-ce trop demander, mage ?

Holà, messire Llynn. Malheureux ! J’imagine ce à quoi vous pensez. Ce sont des sorts extrêmement compliqués et très dangereux. Il ne faut pas les lancer à la légère, messire Llynn. Un sort de protection lancé à la va-vite peut avoir des effets indésirables graves. Tenez, si je lançais, tel que vous me le suggérez, un sort de « mur anti vent » un peu trop fort, on pourrait peut-être ne plus pouvoir bouger parce qu’il nous bloquerait. Ha ! Ha ! Vous voyez, petit inconscient, le danger ! Toute notre troupe bloquée à cause d'un sort mal maîtrisé…

Certes, mage, mais cela vaudrait peut-être la peine d’essayer, non ?

Ça me rappelle, messire Llynn, mes études de magie à l’université. Au cours d’une séance de travaux pratiques, on nous projetait de l’eau à l’aide d’une sorte de pompe. J’avais pour mission de protéger le groupe. J’ai lancé un sort célèbre, le « coup du parapluie », que j’avais par chance révisé le matin même. Et bien, croyez-moi messire Llynn, le sort était bien réussi, je n’en étais pas peu fier.

Vous me rassurez, mage.

Sauf que mes camarades et moi-même étions coincés dans un parapluie géant.

Un parapluie géant. Voilà autre chose ! Et alors ?

Notre professeur a essayé de trouver une solution par lui-même, sans succès. Il a dû se résigner à faire appel au doyen de l’université pour que celui-ci trouve un moyen de nous libérer.

Comment a-t-il fait, mage Ghynn ? A-t-il utilisé un contre sort ?

Pas du tout. Il a emprunté une machette au bibliothécaire. Après quelques coups donnés dans le parapluie, celui-ci s’est déchiré et on a réussi à s’en extraire.

Une idée simple, en fait.

Vous voyez, je ne veux pas prendre de risque moi-même, ni en faire prendre à notre petite troupe, petit inconscient. Ici, personne ne pourrait venir nous libérer si jamais nous venions à être coincés. Vous nous imaginez tous coincés dans un parapluie géant ! Non, messire Llynn, ce serait une trop lourde responsabilité que de lancer un quelconque sort.

 

Je me rends compte qu’il a à peu près la même utilité qu’Awynn. Probablement de la même promotion, ces deux là. Je ne sais pas ce qui me retient de secouer Ghynn et de lui faire bouffer sa barbe. Je lui arracherais son chapeau, son bâton et son grimoire et je les balancerais dans le vent hurlant. Ghynn et son équipement ne servant à rien, ne plus les voir m’aurait permis de ne plus espérer y compter.

 

 

J’ai une autre idée. Je m’approche de notre maîtresse grouichière.

 

Maîtresse Mastenn, vous ne pourriez pas mettre votre grouiche devant ?

Quoi faire ?

On pourrait tous s’abriter derrière lui… Ça pourrait être une bonne idée, n’est-ce pas, maîtresse grouichière ?

Derrière qui ?

Qui qui ?

Bah, derrière qui ?

Maîtresse Mastenn, si je regarde bien autour de nous, je ne vois que vous, moi et VOTRE GROUICHE ! On pourrait tous avancer derrière votre grouiche.

Ah ouais ouais.

Bon alors…

Pas ben épais mon grouiche.

Oui, malgré tout ce qu’il bouffe ! Mais le vent n’a pas l’air de le gêner. Il semble pouvoir continuer d’avancer d’un bon pas bien régulier. Comme il est énormément chargé, si on se met à la queue-leu-leu derrière lui, il nous protégera. Essayez bien, maîtresse Mastenn.

Essayer quoi ?

De comprendre du premier coup, mais, ça, ce n'est pas gagné. Je sais que la répétition est la base de la pédagogie et, qu’avec vous, je vais devoir faire preuve de patience. De mettre votre grouiche devant pour que nous marchions derrière.

Qui ?

Qui qui ?

Bah qui derrière le grouiche ?

Vu que vous, vous marchez à côté de lui, je n’imagine pas plus de quatre individus. Les deux soldats, le mage et moi-même.

Z’êtes sûr ?

– Que nous sommes quatre ? A priori oui. Même avec une seule main le compte est bon.

Ah ouais ouais. Non, qu’ça peut marcher ?

Je n’en suis pas certain, mais essayez donc.

– …

– …

– …

ALLEZ-Y ! Ou sinon, c’est vous que je mets devant. Avec le mage !

 

Mastenn finit par s’exécuter, d’une gaité de cœur que je ne manque pas de souligner. Son enthousiasme débordant me réchauffe. Son extrême motivation me procure un plaisir sans nom.

 

Elle met le grouiche en tête. Nous le suivons à peu de distance, les uns derrière les autres. Elle râle parce qu’elle est toujours obligée de marcher à côté de son petit protégé. Mais, ça nous repose un peu.

 

Et puis, pour la première fois, je n’ouvre pas la marche. Je n’ai pas réussi à mettre le mage et les soldats en tête du cortège, mais la grouichière et le grouiche devant, c’est déjà un net progrès ! Çà me permet de positiver.

 

Un peu…

 

* * *

 

J’appréhende la prochaine nuit. Un régal en perspective. Impossible de manger, impossible d’installer les tentes, possible baisse de la température (ça doit être même une certitude), bruit infernal… Le lendemain matin, on va se réveiller la tête dans le sac et de la poussière partout. Une horreur !

 

Je préfèrerais passer la soirée, voire la nuit, chez Latuynn.

 

 

11 mars 2011

Chapitre 2 / 2ème partie

Toujours est-il que la classification des cailloux étant somme toute peu captivante, j’y ai renoncée ainsi qu’au comptage.

 

*     *     *

 

Enfin, quelque chose vient rompre la monotonie du voyage, mais je ne suis pas sûr que ce soit si bien que ça.

 

Il s’agit du vent.

 

C’est toujours comme ça quand nos deux lunes, Xorr et Wyxorr, sont alignées dans le ciel à minuit. Le Qzurr se lève de la veille jusqu’au lendemain. Deux jours d’enfer…

 

*     *     *

 

Les raisons de ce vent diffèrent selon que celui qui tente d’en expliquer les causes est un tenant de Qsorr ou de Xorr.

 

Les premiers disent que les deux lunes se font la guerre. Les qsorristes estiment qu’elles cherchent à se soumettre à Qsorr, en le reconnaissant comme étant le seul astre qui mérite une adoration profonde. Elles se battent pour savoir laquelle des deux aura le droit d’être sa favorite. Ainsi, les partisans de Xorr ne sont donc que des paillassons sur lesquels ils ont le droit de s’essuyer à tout moment.

 

De l’autre côté, les adorateurs de Xorr pensent que les lunes copulent joyeusement, car elles ne se retrouvent pas si souvent que ça. C’est l’occasion de faire des orgies, si possible avec quelques uns des fervents qsorristes pour ajouter un peu d’épices à leurs ébats.

 

Toutes ces discussions menées par la demi-douzaine d’olibrius hallucinés que comporte Qarwann, représentant chacun leur secte, me passent largement au-dessus de la tête. Je crois que c’est aussi le cas pour tous les autres habitants de Qarwann. Pour nous autres, c’est comme ça depuis toujours et nous ne cherchons pas à savoir pourquoi.

 

Les seuls moments sympathiques sont quand ils se retrouvent par hasard ou par erreur, je n’imagine pas un seul instant que ce soit intentionnel, chez Latuynn. Les débats peuvent alors s’animer avec une intensité que seule l’arrivée du guet parvient à arrêter.

 

*     *     *

 

D’habitude, nous sommes à l’abri derrière les murailles de Qarwann. Le vent n’est alors qu’une légère brise qui soulève les robes des filles. Un des jeux favoris des garçons consiste à emmener les filles sur les remparts, si possible du côté de la Porte du Midi, et admirer leurs jambes et plus si le Qzurr y met du sien… De leur côté, les filles trichent en lestant le bas de leur robe avec des cailloux qu’elles glissent dans leur ourlet. Je trouve leur démarche parfaitement honteuse.

 

La seule qui triche dans l'autre sens, c'est ce laideron d’Owenn, cette boule à tête, à pattes et à bras velus aussi haute que large. Elle profite toujours du Qzurr pour mettre une robe en tulle et monter sur les remparts dès qu'elle m'aperçoit.

 

– Lly-inn, je suis là. Coucou !

– …

– Tu me vois, mon petit Llynnamour chéri ? Je suis là-haut sur les remparts ! Coucou ! Lève donc la tête mon Llynnosor préféré. Coucou !

– …

– Viens admirer ma dernière robe mon petit Llynnou adoré. Je l’ai mise exprès pour te faire plaisir, mon petit Llynnouchon de mon cœur ! Coucou ! Je suis sûre que tu seras ravi d’admirer mes jolies jambes, mon Llynnouroudoudou. Je les ai épilées il y a quelques Xorr et je les ai huilées pour qu’elles brillent. Tu les vois mon Llynngnagnan ? Coucou !

 

Ses jambes sont tellement huilées qu’elles en ruissellent. Ça dégouline. Beurk ! Je file dans la direction opposée en espérant que personne n'ait remarqué son manège. Il ne faudrait pas que quiconque se dise qu'il y a quelque chose entre Owenn et moi. Quelle honte...

 

Je suis sûr que, quand Owenn était dans son berceau, les deux fées Beauté et Intelligence se sont penchées successivement sur elle.

 

– Ma mignonne Owenn, si tu veux être aussi belle que moi, si tu veux que les hommes succombent dès leur premier regard sur toi, choisis-moi pour marraine.

– Ma petite Owenn, si tu souhaites que les hommes ne pensent qu’à toi, que les grimoires et les connaissances n’aient plus de secrets pour toi, choisis-moi pour marraine.

 

Elles lui ont dit de réfléchir car il fallait qu’elle n’en choisisse qu’une. Owenn a donc réfléchi longtemps. Il est normal qu’elle fasse preuve d’indécision. Quand elle eût arrêté son choix, les deux fées étaient parties depuis belle lurette…

 

5 mars 2011

Chapitre 2 / 1ère partie

 

Jusqu’à ce jour, rien ne venait perturber notre périple.

 

Je me suis amusé à dénombrer les cailloux pour m’occuper. Ce n’est pas facile car ils sont tous identiques. Du moins à ce que je pouvais en voir. J’avais l’impression de revenir plusieurs fois sur le même et, au final, je me perdais dans mes comptes.

 

J’ai essayé de les distinguer à travers leurs différentes caractéristiques.

 

D’abord avec leur couleur. Les cailloux jaunes ne sont pas uniquement jaunes. Ils sont aussi ambrés, blonds, dorés, fauves, grouiches, miel, ocrés, voire carrément oranges. De la même façon, les cailloux gris naviguent entre l’acier, l’anthracite, l’ardoise, l’argent, le bistre, le cendré, l’étain ou le plomb. Et puis, ce serait trop facile s’ils étaient homogènes. Malheureusement pour moi, leurs couleurs n’étaient pas uniformes. Ainsi un caillou pouvait arborer sur une face des tons ambrés et sur l’autre face, des nuances cendrées. Ou alors il pouvait présenter par-ci, par-là des tâches ou des marques.

 

Ensuite avec leur forme et leur taille. Il y a les ronds, les patatoïdes, les plats, les gros, les petits, les lisses, les homogènes, les biscornus, les troués.

 

Je suis sûr qu’il y aurait un recensement à faire. On pourrait même établir une classification. J’imagine un grimoire nommant chaque caillou en fonction de ses caractéristiques et de ses usages possibles. On pourrait appeler ce petit caillou bien plat, très lisse, d’un blond tendre et d’une douceur apparente une llynnite. Il ferait d’ailleurs très joli sur une table. Cet autre caillou, là-bas un peu plus loin, grisâtre, biscornu, hétéroclite, tordu, granuleux, à la limite du grotesque, et, j’en suis persuadé, inutile, pourrait se voir attribuer le nom de ghynnite.

 

Je ne sais pas qui ça pourrait intéresser.

 

Les carriers n’utilisent que les blocs blancs qu’ils extraient de leurs carrières à longueur de journée. C’est vrai que, maintenant que j’y pense, toutes les bâtisses de Qarwann ont cette même couleur blanche, qui peut verdir un peu avec le temps. Seule la Porte du Septentrion est plus sombre que le reste. Je ne sais pas pourquoi. Il faudra que je me renseigne pour savoir d’où viennent les pierres qui la constituent.

 

Si je reviens…

 

Je me demande aussi pourquoi les carriers continuent à extraire leurs pierres. Il n’y a plus rien à construire.

 

* * *

 

Ça me rappelle l’histoire d’un carrier, le gros Urvynn, un homme rougeaud, extrêmement désagréable, qui est aussi brut que les blocs qu’il extrait. Il ne savait plus quoi faire de sa production. Il avait eu idée de les expédier par delà les mers, persuadé qu’il était que les villes de là-bas n’attendaient que ses pierres pour se bâtir, pour passer de l’âge du bois à l’âge de pierre. Et c’est le navire qu’il a fini par expédier au fond de la mer… Il est vrai qu’il l’avait un peu trop chargé. Il avait prévu d’embarquer une cargaison pour construire une dizaine de maisons. Le bateau avait sombré après le chargement de l’équivalent de trois ou quatre maisons !

 

Tout le monde avait beaucoup ri de sa mésaventure. Ça s’était terminé par une grandiose altercation chez Latuynn entre les marins qui voulaient obtenir réparation pour leur navire coulé et les carriers qui avaient fait preuve de solidarité vis-à-vis de leur malheureux camarade, même si Urvynn n’était pas particulièrement apprécié au sein de sa guilde. D’autant plus grandiose que les bûcherons avaient autant raillé les uns que les autres. Cela avait dégénéré en une magnifique bagarre, telle qu’on en voit rarement. Magnifique à tel point que soldats du guet avaient tardé à l’interrompre. Il est vrai que tenter de s’interposer entre les colosses de ces guildes nécessite une certaine dose de courage…

 

Ça me fait penser que les navires qui partent prennent des risques, mais reviennent généralement à bon port. Les rares qui sombrent n’obtiennent aucune réparation. On pourrait peut-être mettre en place un système de cagnotte qui garantirait le remboursement des biens et des personnes perdus. On ferait payer à tous quelques marks avant de partir. Les sommes ainsi récoltées seraient mises de côté et permettraient de réparer les torts subis aux autres. C’est une idée un peu compliquée, mais il faudrait que je la creuse. Ce n’est pas inintéressant et ça pourrait rapporter beaucoup de marks or.

 

16 février 2011

Chapitre 1 / dernière partie

Awynn, le Grand Mage de la caste des mages rouges, est soudain passé dans les environs. Il devait probablement chercher à regagner sa demeure. Oxynn lui a demandé son assistance.

– Grand Mage Awynn, pourriez-vous nous aider à ouvrir cette porte ? Les moyens traditionnels ne semblant pas suffisants, je me demande s’il ne faudrait pas passer à des moyens magiques ? Qu’en pensez-vous, Grand Mage Awynn ?

Awynn l’a regardé avec étonnement. Il s’est mis à ruminer une phrase. J’avais l’impression qu’il murmurait quelque chose comme « you’re talking to me ? ». Probablement une imprécation formulée dans le langage ésotérique des mages de sa caste. Puis il a jeté un regard pensif vers la Porte. Il devait réfléchir aux différents sorts possibles pour régler ce problème. Un sort « lance-flammes » pour brûler la porte ? Un sort de « passe-muraille » pour transporter mes compagnons et moi-même de l’autre côté ? Un sort de « trois en un » pour faire glisser l’épar ?

– Alors, Grand Mage Awynn, qu’en pensez-vous ?

– Euh, j’ai un élixir sur le feu et il faut que je rentre avant qu’il ne déborde.

Awynn a repris son chemin, en accélérant très sensiblement son pas, comme si de rien n’était. Il m’a semblé que le capitaine Oxynn était sur le point d’expliquer son besoin de façon plus directe au mage, mais cette idée n’a eu l’air que de l’effleurer.

Bref, à part le mage, rien n’a bougé.

Maintenant que j’y repense, Oxynn avait demandé l’aide d’Awynn. Mais pas de Ghynn. Ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille quant au niveau de compétence de mon mage mauve…

Furax, Oxynn a envoyé chercher des bûcherons. A cette heure même matinale, il devait y en avoir forcément quelques uns chez Latuynn. Les deux équipes se sont disputées le droit de savoir laquelle devrait aller faire cette corvée. Bien que cela fût du ressort de l’équipe active, c’est-à-dire du guet de nuit, Oxynn a laissé l’équipe de Franynn s’en charger. Probablement pour compenser le réveil et éviter l’application de l’article M-999.

Franynn a désigné trois de ses hommes pour y aller.

Ils sont revenus avec deux bûcherons quelques temps après. Suffisamment longtemps pour que les bûcherons aient eu le temps de finir leurs chopines et d’en commander de nouvelles à partager avec les hommes du guet. Mais pas trop longtemps non plus pour qu’on soit toujours avant midi et pouvoir ainsi mettre les boissons sur la note du guet de nuit.

Les deux bûcherons étaient Omynn et Norynn, les plus solides gaillards de Qarwann. Leurs sept pieds de haut, quatre de large et deux d’épaisseur avaient de quoi impressionner quiconque.

Oxynn les a accueillis avec un certain soulagement.

– Bonjour les gars !

– ‘jour ‘pitaine.

– Vous pouvez nous ouvrir cette Porte ?

– Possib’ ‘pitaine…

– …

– …

– Qu’est-ce vous attendez les gars ? On ne va pas passer la journée ici. Nous, on a presque fini notre tournée. On voudrait rentrer se pieuter. Allez, défoncez-moi cette Porte !

– Possib’…

– …

– …

– Je vois les gars où vous voulez en venir. Si vous faites du bon boulot, vous aurez le droit à une chope chez Latuynn.

– Mouais…

– …

– …

– Purée, vous exagérez ! Je trouve parfaitement honteux que vous abusiez de la sorte. Vous profitez de la faiblesse de l’équipe de nuit.

– Possib’…

– Bon, on ne va pas y passer l’après midi. Deux chopes chacun, ça ira ?

– D’ac’ ‘pitaine !

Ils ont sorti leur énorme hache. En quelques minutes, à grands coups, ils sont parvenus à ouvrir la Porte.

La situation était enfin débloquée.

Nous avons réussi à sortir de Qarwann par le nord.

Derrière, la Porte du Septentrion s’est refermée dans un grand fracas. Pourvu qu’ils puissent l’ouvrir à mon retour.

Si je reviens…

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15 février 2011

Chapitre 1 / 4ème partie

Qu’est-ce que je m’ennuie. C’est vraiment une mortelle randonnée.

Pour passer le temps, j’ai joué à « 1, 2, 3 Qsorr ! ».

C’est un jeu de gamins. Celui qui s’y colle tourne le dos aux autres et formule cette phrase magique « 1, 2, 3 Qsorr ! ». Pendant ce temps, les autres ont le droit de bouger. Ils doivent avancer pour atteindre leur camarade. A la fin de la formule, celui qui est tout seul se retourne et ceux qu’il voit bouger ont perdu. Pour gagner, le collé doit éliminer tous les autres et, inversement, les autres doivent l’atteindre… Je ne sais pas si je suis clair, mais les gamins comprennent vite.

J’y ai joué sans le leur dire. Je me voyais mal crier « 1, 2, 3 Qsorr ! » sans avoir l’air franchement ridicule. A part le grouiche, ils étaient toujours tous immobiles à chaque fois que je me retournais. J’ai même triché en me retournant avant la fin de la formule magique. Quelle honte, tricher à « 1, 2, 3 Qsorr ! ». Pourvu que ça ne se sache pas… Mais le résultat a été identique. Pas un ne bougeait. C’était des champions de l’immobilisme, des adeptes de la fixité, des modèles pour sculpteurs…

Alors j’ai abandonné ce jeu.

*     *     *

Ça m’a fait une impression étrange de franchir la Porte du Septentrion.

Personne n’y passe jamais. Ni dans un sens, ni dans l’autre.

La Porte du Levant s’ouvre sur la plaine. Les paysans, les grouichiers, les bûcherons, les tailleurs de pierre et d’autres la franchissent pour entrer dans Qarwann. Ils ont alors le ventre et les poches vides, les sacs et les chariots pleins. Ils vont d’abord sous la grande halle vendre leurs produits, puis chez Latuynn se saouler. Ils repassent enfin la Porte du Levant dans l’autre sens le ventre plein et les poches, les sacs et les chariots vides pour retourner dans leurs fermettes ou leurs campements.

Les pécheurs, les navigateurs, les marchands, les étrangers, les ambassadeurs et les aventuriers font de même en passant par la Porte du Midi.

Mais la Porte du Septentrion ne mène nulle part. A part dans le désert. Je ne sais même pas pourquoi il y a une porte. Les bâtisseurs de la cité auraient très bien pu laisser le mur d’enceinte tel qu’il est partout ailleurs.

Il n’y a pas de Porte du Couchant et ça convient à tout le monde. Il est vrai qu’elle donnerait aussi sur la mer comme la Porte du Midi, mais de façon beaucoup trop abrupte pour avoir un intérêt quelconque.

Elle existe quasiment cette Porte. On balance bien dans la mer par-dessus les murailles de l’ouest tous les indésirables de Qarwann. Les voleurs, les tricheurs, les ambassadeurs… Bref, toutes les personnes désagréables ou mal intentionnées finissent souvent par quitter la ville par ce chemin…

On aurait pu avoir, au nord, une grosse muraille avec son chemin de ronde, ses créneaux, ses tourelles et tout le toutim. Mais non, nos constructeurs ont préféré construire cet édifice sinistre, particulièrement sombre, le plus haut de toute la cité, avec son toit extrêmement pointu, sa flèche qui grimpe très haut dans le ciel et ses grosses portes massives qui ne s’ouvrent jamais.

D’un autre côté, heureusement qu’il y a une porte. Ça m’aurait ennuyé d’être balancé par-dessus la muraille…

De mémoire, la seule fois où on a ouvertes ses portes, c’était pour moi. Je n’ai pas pensé à demander à la vieille Erthenn, la doyenne de la cité, si elle les avait vues ouvertes dans sa longue existence. Il faudra que je lui pose la question à mon retour.

Si je reviens…

L’ouverture de la Porte du Septentrion a été très difficile, preuve supplémentaire s’il en est besoin, qu’elle ne sert vraiment pas beaucoup.

C’est vrai, les deux autres portes s’ouvrent beaucoup plus facilement. Les ferme-t-on d’ailleurs ?

Tous les hommes du guet de nuit ont tenté de dégager l’épar qui ferme cette porte. Mais, avec le temps et son utilisation modérée, le bois avait gonflé et le métal rouillé. Ils ont eu beau forcer, s’éreinter, s’échiner, la porte refusait de s’ouvrir.

La situation était bloquée.

Oxynn, le capitaine du guet de nuit, commençait à trouver le temps long. Il était tout transpirant. Sa tunique militaire était ornée d’auréoles de sueur. Il a envoyé chercher les hommes du guet de jour. Il a dû houspiller ses hommes car aucun ne s’était porté volontaire pour y aller.

Quant aux soldats du guet du jour, ils ont été peu ravis d’avoir à participer à cette manœuvre qui, vue l’heure, incombait à l’équipe de nuit.

Oxynn et Franynn, le capitaine du guet de jour, se sont copieusement engueulés.

Franynn a commencé à tortiller sa petite moustache blonde, preuve de son énervement. Avec sa voix de fausset, il a interpelé Oxynn.

– Capitaine Oxynn, je me permets de vous rappeler quelques points du règlement de la société du guet, à laquelle nous sommes tous deux membres. A ce titre, nous en avons accepté tous deux les règles. Je ne vous ferais pas l’injure de rappeler le serment que vous avez dû faire lorsque vous avez accepté cette charge.

– Oui, capitaine Franynn, je sais bien…

– Donc, dans les règles que vous avez acceptées, il y a naturellement celles qui régissent les demandes d’intervention de l’équipe au repos par l’équipe active.

– Capitaine Franynn, s’il vous plaît…

– Permettez-moi de poursuivre, capitaine Oxynn. Il n’y a que deux circonstances recensées qui permettent le réveil de l’équipe inactive. Il s’agit des cas d’invasion par une armée pas trop nombreuse et de festivités improvisées, même si je réprouve particulièrement ce type de comportement, qui peuvent autoriser le capitaine de l’équipe active, c’est-à-dire le guet de jour ou de nuit, à faire appel au capitaine de l’équipe au repos, c’est-à-dire le guet de nuit ou de jour.

– J’entends bien, mais…

– Dans le premier cas, il faut respecter l’article M-702 du règlement municipal qarwanniste qui passe par quatre étapes successives. Même si je suis certain que vous les connaissez, je vais me permettre de vous les rappeler, ça ne vous fera aucun mal, étant donné la certaine propension que vous avez à passer outre les règlements les plus élémentaires.

– Capitaine Franynn, laissez-moi…

– Je poursuis, capitaine Oxynn. Donc, l’article M-702 démarre, premièrement, par l’évaluation des forces en présence. Elle se poursuit, deuxièmement, par une profonde réflexion sur la nécessité de faire appel ou non à l’équipe au repos. Si, à cette question, la réponse venait à être positive, elle se prolonge, troisièmement, par le remplissage du formulaire adéquat en deux exemplaires un pour le capitaine de l’équipe inactive et un pour le sieur Brevynn.

– Je vous en prie, capitaine Franynn…

– Enfin, elle se termine, quatrièmement et dernièrement, par le réveil de l’équipe au repos, dans des conditions d’humanité que notre code de l’honneur nous impose. A toute fin utile, puisque vous m’avez l’air peu soucieux du règlement municipal qarwanniste, j’en profite pour vous rappeler qu’une « armée pas trop nombreuse » signifie plus de soldats que le guet actif mais moins que le total des soldats des deux guets.

– Capitaine Franynn, j’entends bien. Je me permets juste de vous indiquer que le changement de guet doit avoir lieu dans à peine une heure.

– Capitaine Oxynn, là n’est point la question. Les horaires des guets sont fixés par l’article M-314 du règlement municipal qarwanniste. Que l’appel à l’autre équipe ait lieu dix minutes après l’arrêt de son service, en plein milieu de son repos ou dix minutes avant la reprise de son service, l’effet est le même. L’équipe au repos est dérangée.

– Capitaine Franynn…

– Capitaine Oxynn, permettez-moi de terminer mon propos. Je vous accorderai un droit de réponse ultérieurement. Dans le second cas, capitaine Oxynn, il convient d’appliquer l’article M-601 du règlement municipal qarwanniste. Je sais que vous maîtrisez parfaitement cette procédure en raison de son extrême simplicité.

– Vous vous moquez…

– Il s’agit de faire appel immédiatement à l’autre équipe, sans formalisme excessif, étant donnée l’urgence de la situation ! Ici, nous ne sommes dans aucun des deux cas cités. Sauf si je me trompe, l’ouverture de la Porte du Septentrion pour envoyer une troupe de quelques individus à destination des Marches du nord ne correspond ni à une invasion, ni à des festivités improvisées.

– Capitaine…

– Capitaine Oxynn, j’estime que l’équipe au repos a été indûment appelée. Je vais donc devoir appliquer l’article M-999 du règlement municipal qarwanniste relatif à l’usage abusif d’un article, voire à son détournement. Cela va…

– Ta gueule, Franynn !

– Capitaine Oxynn, je ne voudrais pas ajouter au constat susdit d’autres infractions au règlement, telles que l’insulte à un officier, l’absence de l’usage du grade ou encore le tutoiement totalement hors de propos…

Le guet de nuit se déroule de minuit à midi. Ainsi, en fin de matinée, cette équipe peut être atteinte d’une certaine fatigue. Cet état peut entraîner un énervement passager. Je voyais bien que le capitaine Oxynn continuait à transpirer à grosses gouttes. Les différentes auréoles surgies lors de la tentative d’ouverture de la Porte du Septentrion s’étaient toutes regroupées en une seule, signe que la tension montait.

C’est ce qu’a assurément fini par comprendre Franynn en se relevant et en appliquant un mouchoir sur son nez ensanglanté.

Preuve d’une grande sagesse, Franynn n’a pas en retour agité sous le nez d’Oxynn ni son poing, qu’il a de bien plus petit, ni un quelconque article M machin chouette du règlement municipal qarwanniste relatif à des voies de fait sur un officier. Cela devait constituer un attentat très certainement aggravé par le fait que ce soit un autre officier qui ait commis ce méfait…

Les hommes des deux guets sont donc parvenus à surmonter leurs différends. Ils ont associé leurs efforts pour tenter d’ouvrir la porte. Sans plus de succès. L’épar n’a pas bougé d’un pouce.

La situation était toujours bloquée.

14 février 2011

Chapitre 1 / 3ème partie

Je tente de mettre le mage à mes côtés. C’est un drôle de bonhomme qui dissimule une bonne partie de son visage derrière sa barbe de mage. Il est vêtu de sa robe de mage, une sorte de tunique qui descend très bas. Suffisamment pour balayer derrière lui. Il porte un chapeau de mage, un truc assez haut et pointu. Dans une main, il tient son grimoire de mage et, dans l’autre, son bâton de mage, une sorte de canne qui doit faire dans les cinq pieds de long. A part la barbe, tout le reste est mauve. La barbe est blanche. Du moins elle l’était au départ. Elle serait plutôt grisâtre maintenant…

*     *     *

On m’a suggéré de partir avec un mage pour ses qualités indiscutablement importantes. Ne sachant pas trop à quoi j’allais m’exposer dans ce trajet, j’ai trouvé l’idée plutôt bonne.

J’ai choisi un mage mauve parce que c’était la seule caste qui avait des disponibilités. Les mages rouges ou noirs avaient décliné ma proposition sous prétexte qu’ils étaient tous déjà pris. Les mages verts, eux, ne se livraient plus à ce type d’exercice. Enfin, Rekynn, le Maître des mages blancs, m’avait fixé un tarif que j’avais jugé prohibitif.

Le Maître Supérieur de la caste des mages mauves, Zyxynn, m’avait assuré que Ghynn était un mage parfaitement capable, qui était sorti de l’université avec les honneurs. Il avait une longue expérience de ce type de mission. Je pouvais, si je le souhaitais, vérifier ses références en contactant d’autres personnes ayant fait appel à ses services, même si elles n’étaient pour l’instant pas facilement joignables. Le caractère dérisoire de son tarif n’était lié qu’à une offre promotionnelle qu’ils faisaient en ce moment, « la grande semaine du mauve ». Avec un grand sourire enjôleur, Zyxynn m’avait dit qu’il fallait que je me dépêche de retenir Ghynn. En effet, d’autres propositions affluaient. J’ai donc signé le parchemin qu’il me tendait et versé les quelques marks or qui scellaient notre coopération.

*     *     *

Donc, je reviens en arrière pour me mettre à la hauteur du mage.

– Mage Ghynn, cela ne vous dérangerait-il pas de marcher devant, à mes côtés ?

– Holà, messire Llynn. Malheureux ! Je ne peux accepter d’être en tête du cortège. C’est une lourde responsabilité que de marcher devant. Imaginez, messire Llynn, que je me trompe de chemin et que nous nous égarions. Ce serait une véritable catastrophe. Non, petit inconscient, je ne veux pas faire prendre de risque à notre équipée.

– Mais, mage Ghynn, il n’y a qu’un seul chemin, certes assez peu balisé, mais il suffit d’avancer tout droit. Vous ne risquez pas de nous perdre.

– Messire Llynn, il n’y a qu’un seul chemin pour l’instant, qui, comme vous le dites, est très peu balisé. Rien ne nous dit qu’il n’y aura pas de bifurcation par la suite. Ce n’est pas une chose impossible, messire Llynn.

– Dans ce cas, vous vous arrêterez et nous aviserons ensemble. Tous les deux.

– Holà, messire Llynn. Malheureux ! Et si jamais je ne notais pas cette intersection. Si jamais je continuais mon chemin sans voir que nous passons à côté d’un embranchement. Si jamais je perdais le nord. Si jamais je déviais de notre trajectoire. Vous devez savoir, messire Llynn, que je suis sans arrêt en train de réviser mes formules magiques. Je n’ai donc pas forcément toute mon attention focalisée sur la route. Eh oui, pendant que je marche, je travaille ma magie. Un accident serait si vite arrivé.

– Mais mage, tranquillisez-vous. Je ne vous demande pas de marcher seul en tête. Je souhaite juste que nous marchions tous les deux, côte-à-côte.

– Je ne peux accepter, messire Llynn. Et puis, ce que vous me demandez me rappelle une aventure qui m’est arrivée à l’université. Je devais aider le bibliothécaire à ranger des livres alors que nous étions en pleine révision pour nos examens de fin de trimestre. Je vous laisse imaginer, messire Llynn, la pression qui pesait, à l’époque, sur mes épaules.

– Je veux bien vous croire, mage.

– J’avais eu quelques accidents de parcours et je ne devais pas rater ces épreuves sous peine d’une probable exclusion de l’université. Il vous faut savoir, messire Llynn, que les processus de sélection sont particulièrement rigoureux, ce qui garantit, à la sortie, un niveau d’excellence rarement atteint.

– C’est effectivement ce que votre Maître Supérieur m’a dit.

– Bref, cet individu, le bibliothécaire, aux allures de primate, « le gorille » comme nous osions le surnommer entre nous en cachette, m’avait demandé de replacer quelques grimoires. Il fallait les ranger sur la septième étagère de la septième travée dans la septième allée. Et bien, croyez-moi messire Llynn, je me suis perdu. Ce n’a été que plusieurs heures après que le bibliothécaire m’a retrouvé et m’a remis sur le bon chemin. Vous voyez, je ne veux pas égarer notre troupe. Ce sera un véritable désastre.

– Et quel a été le résultat de vos examens, mage Ghynn ?

– Euh, messire Llynn, là n’était pas la question…

– Permettez-moi, mage Ghynn, d’insister. Je suis soucieux de ce qui a pu vous arriver. Et puis votre Maître Supérieur m’a tant vanté vos qualités.

– Malheureusement, les examens se sont portés sur une matière dans laquelle je n’étais pas le plus doué, messire Llynn. C’est une matière particulièrement difficile. Je n’ai pas eu les résultats que j’aurais pu escompter malgré tous mes efforts.

– Et quelle était-elle, cette matière qui vous paraissait si ardue ?

– L’incantation, messire Llynn, l’incantation.

– …

Me voilà parti avec un mage nul en incantation. Comment lance-t-il donc ses sorts ?

– Mais alors, mage, qu’en est-il du processus si rigoureux de sélection ?

– Euh, j’ai bénéficié d’un rehaussement exceptionnel de mes résultats du fait de mon comportement pendant tout le trimestre, messire Llynn. Et puis mon père était allé discuter avec le doyen de l’université.

– Votre père ?

– Oui, messire Llynn, je ne suis pas peu fier d’être le fils de maître Aqlynn.

– Celui qui possède la moitié des navires de Qarwann ? J’ai toujours entendu dire qu’il était d’une extrême générosité.

– C’est exact, messire Llynn. Il a particulièrement participé à la restauration de quelques bâtiments de notre université qui tombaient en ruines. C’est un véritable mécène.

Bon, il est nul en incantation. Je comprends mieux qu’il ait été disponible et que je n’ai pas vu grand-chose de son art. Ça promet… Pourvu que je n’ai pas trop besoin de ses services, finalement.

En fait, son bibliothécaire, « le gorille », aurait mieux fait d’attendre plusieurs Xorr avant d’aller le chercher. Les os blanchis, Ghynn n’aurait pas été plus inutile.

13 février 2011

Chapitre 1 / 2ème partie

L’équipée est toute silencieuse.

Ça ajoute une couche à la monotonie du décor. La monotonie des sons.

Seuls les crissements des pieds, les gargouillements des uns et des autres et les bruits du grouiche viennent perturber le silence environnant.

Certes, tout ça fait du vacarme, mais j’ai vraiment l’impression de voyager tout seul, suivi par des sons.

Je dois me retourner souvent pour vérifier si mes compagnons sont toujours là. J’ai essayé de marcher derrière eux mais ils s’arrêtent instantanément. J’ai eu beau leur dire d’avancer, de faire croire que je devais ne m’arrêter que quelques instants, le temps de pisser ou de chercher quelque chose dans mon sac, et que je les rattraperai dans un petit moment. Mais rien n’y faisait. Ils m’attendaient. Comme je n’avais pas envie de pisser, je repartais.

J’ai aussi tenté de marcher moins vite, en trainant des pieds, mais ils arrivaient à rester derrière moi.

Il a fallu que je me fasse une raison et que je reste devant.

12 février 2011

Chapitre 1 / 1ère partie

1

Ça fait plusieurs jours que nous marchons, mes quatre compagnons, le grouiche et moi.

Nous avançons très certainement, sans en avoir l’impression. Il est vrai que le paysage du désert change peu. Ou alors il ne faut pas être pressé. Ou bien avoir le regard suffisamment méticuleux pour distinguer les infimes différences du paysage.

Depuis que nous avons quitté Qarwann, le décor n’a pas beaucoup varié. De la poussière, des cailloux gris, des cailloux jaunes, des arbustes rabougris, quelques arbres, des petites bêtes qui rampent, des moyennes bêtes qui courent.

Le paysage est d’une rare monotonie. Pas de relief, pas d’escarpement rocheux. Rien. Une platitude plate. Le jour avec la chaleur de Qsorr, la nuit avec la froidure et la pâleur de Xorr ou de Wyxorr.

Nous marchons sur une piste droite. Quoique… Est-ce vraiment une piste ? Car, pas grand-chose ne distingue cette portion du désert du reste. On a juste le sentiment diffus que d’autres l’ont empruntée avant nous. Même s’ils n’ont pas été bien nombreux. Et qu’ils n’y sont pas passés récemment.

Et pourtant, un jour ou l’autre, nous devrions arriver aux Marches du nord. On m’a dit qu’il fallait sortir de Qarwann par la Porte du Septentrion et continuer toujours tout droit. Immanquablement, elles devraient se trouver en travers de mon chemin, au bout du désert. Mais personne n’a pu me dire au bout de combien de temps.

Certes, comme personne n’en est jamais revenu, alors, savoir le temps qu’il faudra pour y aller…

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