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Les aventures de Llynn
15 février 2011

Chapitre 1 / 4ème partie

Qu’est-ce que je m’ennuie. C’est vraiment une mortelle randonnée.

Pour passer le temps, j’ai joué à « 1, 2, 3 Qsorr ! ».

C’est un jeu de gamins. Celui qui s’y colle tourne le dos aux autres et formule cette phrase magique « 1, 2, 3 Qsorr ! ». Pendant ce temps, les autres ont le droit de bouger. Ils doivent avancer pour atteindre leur camarade. A la fin de la formule, celui qui est tout seul se retourne et ceux qu’il voit bouger ont perdu. Pour gagner, le collé doit éliminer tous les autres et, inversement, les autres doivent l’atteindre… Je ne sais pas si je suis clair, mais les gamins comprennent vite.

J’y ai joué sans le leur dire. Je me voyais mal crier « 1, 2, 3 Qsorr ! » sans avoir l’air franchement ridicule. A part le grouiche, ils étaient toujours tous immobiles à chaque fois que je me retournais. J’ai même triché en me retournant avant la fin de la formule magique. Quelle honte, tricher à « 1, 2, 3 Qsorr ! ». Pourvu que ça ne se sache pas… Mais le résultat a été identique. Pas un ne bougeait. C’était des champions de l’immobilisme, des adeptes de la fixité, des modèles pour sculpteurs…

Alors j’ai abandonné ce jeu.

*     *     *

Ça m’a fait une impression étrange de franchir la Porte du Septentrion.

Personne n’y passe jamais. Ni dans un sens, ni dans l’autre.

La Porte du Levant s’ouvre sur la plaine. Les paysans, les grouichiers, les bûcherons, les tailleurs de pierre et d’autres la franchissent pour entrer dans Qarwann. Ils ont alors le ventre et les poches vides, les sacs et les chariots pleins. Ils vont d’abord sous la grande halle vendre leurs produits, puis chez Latuynn se saouler. Ils repassent enfin la Porte du Levant dans l’autre sens le ventre plein et les poches, les sacs et les chariots vides pour retourner dans leurs fermettes ou leurs campements.

Les pécheurs, les navigateurs, les marchands, les étrangers, les ambassadeurs et les aventuriers font de même en passant par la Porte du Midi.

Mais la Porte du Septentrion ne mène nulle part. A part dans le désert. Je ne sais même pas pourquoi il y a une porte. Les bâtisseurs de la cité auraient très bien pu laisser le mur d’enceinte tel qu’il est partout ailleurs.

Il n’y a pas de Porte du Couchant et ça convient à tout le monde. Il est vrai qu’elle donnerait aussi sur la mer comme la Porte du Midi, mais de façon beaucoup trop abrupte pour avoir un intérêt quelconque.

Elle existe quasiment cette Porte. On balance bien dans la mer par-dessus les murailles de l’ouest tous les indésirables de Qarwann. Les voleurs, les tricheurs, les ambassadeurs… Bref, toutes les personnes désagréables ou mal intentionnées finissent souvent par quitter la ville par ce chemin…

On aurait pu avoir, au nord, une grosse muraille avec son chemin de ronde, ses créneaux, ses tourelles et tout le toutim. Mais non, nos constructeurs ont préféré construire cet édifice sinistre, particulièrement sombre, le plus haut de toute la cité, avec son toit extrêmement pointu, sa flèche qui grimpe très haut dans le ciel et ses grosses portes massives qui ne s’ouvrent jamais.

D’un autre côté, heureusement qu’il y a une porte. Ça m’aurait ennuyé d’être balancé par-dessus la muraille…

De mémoire, la seule fois où on a ouvertes ses portes, c’était pour moi. Je n’ai pas pensé à demander à la vieille Erthenn, la doyenne de la cité, si elle les avait vues ouvertes dans sa longue existence. Il faudra que je lui pose la question à mon retour.

Si je reviens…

L’ouverture de la Porte du Septentrion a été très difficile, preuve supplémentaire s’il en est besoin, qu’elle ne sert vraiment pas beaucoup.

C’est vrai, les deux autres portes s’ouvrent beaucoup plus facilement. Les ferme-t-on d’ailleurs ?

Tous les hommes du guet de nuit ont tenté de dégager l’épar qui ferme cette porte. Mais, avec le temps et son utilisation modérée, le bois avait gonflé et le métal rouillé. Ils ont eu beau forcer, s’éreinter, s’échiner, la porte refusait de s’ouvrir.

La situation était bloquée.

Oxynn, le capitaine du guet de nuit, commençait à trouver le temps long. Il était tout transpirant. Sa tunique militaire était ornée d’auréoles de sueur. Il a envoyé chercher les hommes du guet de jour. Il a dû houspiller ses hommes car aucun ne s’était porté volontaire pour y aller.

Quant aux soldats du guet du jour, ils ont été peu ravis d’avoir à participer à cette manœuvre qui, vue l’heure, incombait à l’équipe de nuit.

Oxynn et Franynn, le capitaine du guet de jour, se sont copieusement engueulés.

Franynn a commencé à tortiller sa petite moustache blonde, preuve de son énervement. Avec sa voix de fausset, il a interpelé Oxynn.

– Capitaine Oxynn, je me permets de vous rappeler quelques points du règlement de la société du guet, à laquelle nous sommes tous deux membres. A ce titre, nous en avons accepté tous deux les règles. Je ne vous ferais pas l’injure de rappeler le serment que vous avez dû faire lorsque vous avez accepté cette charge.

– Oui, capitaine Franynn, je sais bien…

– Donc, dans les règles que vous avez acceptées, il y a naturellement celles qui régissent les demandes d’intervention de l’équipe au repos par l’équipe active.

– Capitaine Franynn, s’il vous plaît…

– Permettez-moi de poursuivre, capitaine Oxynn. Il n’y a que deux circonstances recensées qui permettent le réveil de l’équipe inactive. Il s’agit des cas d’invasion par une armée pas trop nombreuse et de festivités improvisées, même si je réprouve particulièrement ce type de comportement, qui peuvent autoriser le capitaine de l’équipe active, c’est-à-dire le guet de jour ou de nuit, à faire appel au capitaine de l’équipe au repos, c’est-à-dire le guet de nuit ou de jour.

– J’entends bien, mais…

– Dans le premier cas, il faut respecter l’article M-702 du règlement municipal qarwanniste qui passe par quatre étapes successives. Même si je suis certain que vous les connaissez, je vais me permettre de vous les rappeler, ça ne vous fera aucun mal, étant donné la certaine propension que vous avez à passer outre les règlements les plus élémentaires.

– Capitaine Franynn, laissez-moi…

– Je poursuis, capitaine Oxynn. Donc, l’article M-702 démarre, premièrement, par l’évaluation des forces en présence. Elle se poursuit, deuxièmement, par une profonde réflexion sur la nécessité de faire appel ou non à l’équipe au repos. Si, à cette question, la réponse venait à être positive, elle se prolonge, troisièmement, par le remplissage du formulaire adéquat en deux exemplaires un pour le capitaine de l’équipe inactive et un pour le sieur Brevynn.

– Je vous en prie, capitaine Franynn…

– Enfin, elle se termine, quatrièmement et dernièrement, par le réveil de l’équipe au repos, dans des conditions d’humanité que notre code de l’honneur nous impose. A toute fin utile, puisque vous m’avez l’air peu soucieux du règlement municipal qarwanniste, j’en profite pour vous rappeler qu’une « armée pas trop nombreuse » signifie plus de soldats que le guet actif mais moins que le total des soldats des deux guets.

– Capitaine Franynn, j’entends bien. Je me permets juste de vous indiquer que le changement de guet doit avoir lieu dans à peine une heure.

– Capitaine Oxynn, là n’est point la question. Les horaires des guets sont fixés par l’article M-314 du règlement municipal qarwanniste. Que l’appel à l’autre équipe ait lieu dix minutes après l’arrêt de son service, en plein milieu de son repos ou dix minutes avant la reprise de son service, l’effet est le même. L’équipe au repos est dérangée.

– Capitaine Franynn…

– Capitaine Oxynn, permettez-moi de terminer mon propos. Je vous accorderai un droit de réponse ultérieurement. Dans le second cas, capitaine Oxynn, il convient d’appliquer l’article M-601 du règlement municipal qarwanniste. Je sais que vous maîtrisez parfaitement cette procédure en raison de son extrême simplicité.

– Vous vous moquez…

– Il s’agit de faire appel immédiatement à l’autre équipe, sans formalisme excessif, étant donnée l’urgence de la situation ! Ici, nous ne sommes dans aucun des deux cas cités. Sauf si je me trompe, l’ouverture de la Porte du Septentrion pour envoyer une troupe de quelques individus à destination des Marches du nord ne correspond ni à une invasion, ni à des festivités improvisées.

– Capitaine…

– Capitaine Oxynn, j’estime que l’équipe au repos a été indûment appelée. Je vais donc devoir appliquer l’article M-999 du règlement municipal qarwanniste relatif à l’usage abusif d’un article, voire à son détournement. Cela va…

– Ta gueule, Franynn !

– Capitaine Oxynn, je ne voudrais pas ajouter au constat susdit d’autres infractions au règlement, telles que l’insulte à un officier, l’absence de l’usage du grade ou encore le tutoiement totalement hors de propos…

Le guet de nuit se déroule de minuit à midi. Ainsi, en fin de matinée, cette équipe peut être atteinte d’une certaine fatigue. Cet état peut entraîner un énervement passager. Je voyais bien que le capitaine Oxynn continuait à transpirer à grosses gouttes. Les différentes auréoles surgies lors de la tentative d’ouverture de la Porte du Septentrion s’étaient toutes regroupées en une seule, signe que la tension montait.

C’est ce qu’a assurément fini par comprendre Franynn en se relevant et en appliquant un mouchoir sur son nez ensanglanté.

Preuve d’une grande sagesse, Franynn n’a pas en retour agité sous le nez d’Oxynn ni son poing, qu’il a de bien plus petit, ni un quelconque article M machin chouette du règlement municipal qarwanniste relatif à des voies de fait sur un officier. Cela devait constituer un attentat très certainement aggravé par le fait que ce soit un autre officier qui ait commis ce méfait…

Les hommes des deux guets sont donc parvenus à surmonter leurs différends. Ils ont associé leurs efforts pour tenter d’ouvrir la porte. Sans plus de succès. L’épar n’a pas bougé d’un pouce.

La situation était toujours bloquée.

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